

Interview exclusive d'Adrien Lehman, Auditeur à la Banque de France

1. Pourriez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Adrien Lehman, j’ai 28 ans et je suis auditeur à l’Inspection Générale de la Banque de France depuis près de trois ans. J’aime aller avec mes amis au théâtre et prendre le temps de cultiver ma passion pour le chinois que j’ai appris à Pékin.
2. Pourriez-vous présenter la Banque de France aux membres de Dogfinance ?
La Banque de France a été fondée par Napoléon Bonaparte en 1800 et s’inscrit dans le quotidien des français depuis cette date. Elle a trois grandes missions. La première - la plus connue - est la politique monétaire : elle imprime et fait circuler les billets en euro sur le territoire national et participe au nom de la France aux décisions de la Banque centrale européenne (BCE). Sa seconde mission a connu une actualité renouvelée depuis la crise de 2008 : il s’agit d’assurer la stabilité financière des banques et assurances, en France et en Europe dans le cadre du mécanisme de supervision unique piloté par la BCE. Enfin, la Banque de France propose une vaste offre de services à l’économie : elle tient le compte de l’État, accompagne les ménages surendettés, propose aux entreprises un service de cotation financière. Depuis 2010, elle est même un des acteurs publics en charge de l’éducation économique et financière des publics. Dans ce cadre, nous avons ouvert un musée : la Cité de l’économie (https://www.citeco.fr/). Je vous en recommande vivement la visite !
3. Quelles formations avez-vous suivi ? Pourquoi avez-vous choisi cette orientation ?
Je suis diplômé de Sciences Po Paris, d’un master affaires publiques. C’est un choix que j’ai fait très jeune, tant j’étais passionné par la politique, l’économie et les affaires internationales. Sur les bancs de l’école, j’ai découvert le service public et ses métiers. C’est la raison pour laquelle j’ai présenté les concours administratifs. J’ai choisi de rejoindre la Banque de France précisément car elle est au carrefour du public et du privé, du local et de l’international, de l’économie et du droit. Cette diversité est une de nos forces.
4. Comment avez-vous découvert l’audit ?
Autant vous le dire tout de suite : je n’ai fait pas d’études en audit et je ne suis pas un technicien de la discipline mais j’ai eu la chance d’être entouré de collègues bienveillants et d’experts techniques qui m’ont permis d’apprendre rapidement le métier. Lorsque j’ai réussi le concours de la Banque, la Direction Générale des Ressources Humaines m’a proposé de rejoindre l’Inspection Générale en soulignant trois aspects du métier et j’ai été convaincu. D’abord, l’audit permet d’avoir une vision stratégique de haut niveau sur tous les métiers du secteur bancaire en France et à l’étranger, c’est très enrichissant. Ensuite, la diversité des missions fait que l’on ne s’ennuie jamais : à chaque mission, je peux changer de sujet, de périmètre de contrôle, de chef et de collègues. C’est parfois un peu douloureux quand il y a une bonne ambiance, mais c’est la règle du jeu. Enfin, et c’est un avantage important, les métiers d’audit-inspection permettent aussi d’exercer d’autres fonctions par le biais de mobilités, que ce soit dans la Banque de France ou ailleurs. C’est une grande chance.
5. Pourriez-vous m'expliquer votre métier au quotidien au sein de la Banque de France (missions…) ? Les challenges, votre environnement de travail ?
L’Inspection Générale de la Banque de France permet d’exercer dans trois grands domaines. Historiquement, le premier a été l’audit de nos succursales régionales et départementales. C’est le domaine des grands voyageurs, qui aiment visiter toutes les villes de France pour s’assurer que nous offrons partout une haute qualité de service. Notre second périmètre d’action est le siège de l’institution : nos services centraux et l’ensemble de nos filiales. Ainsi, nous contrôlons l’ensemble du groupe. Enfin, et c’est notre spécificité : nous contrôlons l’ensemble des banques – au sens large (établissements de crédit, entreprises d’investissement, etc.) dès lors qu’elles ont un agrément délivré en France par l’ACPR ou la BCE. Sur ce périmètre nous exerçons des points de contrôle variés (risques financiers, lutte anti blanchiment, etc.).
6. Quelles sont les compétences attendues d'un auditeur ?
J’ai coutume de dire qu’à chaque mission, on nous lâche dans le grand bain et il faut réussir à nager tout de suite. Il faut être très autonome et comprendre vite des problématiques souvent extrêmement pointues pour produire des analyses du niveau de l’Inspection. Il ne faut pas avoir peur de poser des questions difficiles, de découvrir des sujets qui nous étaient complètement inconnus hier ou de demander de l’aide aux autres. C’est avec l’esprit d’équipe que l’on produit les meilleurs rapports !
7. Peut-on dire que l'audit est un métier de demain ? A quels changements pensez-vous que ce secteur sera confronté ?
Il n’y a aucun doute là-dessus : à la Banque de France comme ailleurs, nous travaillons dans des organisations de plus en plus complexes. C’est la conséquence de la transformation digitale, de l’internationalisation des standards, de la création d’une réglementation plus protectrice et donc d’une gouvernance plus structurée. Dans cette complexité, les cadres dirigeants ont besoin d’y voir clair. Des tableaux de bords transmis par les équipes opérationnelles ou des visites sur le terrain ne suffisent pas. Un comité de direction efficace a besoin d’être soutenu par un corps d’inspection fiable et crédible pour lui permettre de décider en confiance. Toutes les organisations en ont besoin.
8. Quels conseils donneriez-vous à un étudiant souhaitant intégrer la Banque de France en tant qu’auditeur junior ?
D’oser, tout simplement, si nos métiers lui font envie. Les membres des équipes de l’Inspection Générale ont des parcours très différents. Certains sont très spécialisés en audit, d’autres ont des compétences techniques (comptabilité, mathématiques, digital, etc.) ou ont une expérience dans des lignes métiers opérationnelles du secteur bancaire (conseiller en banque de détail, opérateur de marché, consultant financier). Nous avons besoin de tous les profils.
9. Pensez-vous que votre parcours a été un atout pour progresser en audit ?
Indéniablement. J’ai un côté caméléon qui me permet de m’adapter à tous les sujets. C’est d’ailleurs ce qu’on apprend à Sciences Po : comprendre des logiques très différentes – juridiques et économiques, par exemple – pour les faire dialoguer et trouver un point d’équilibre. En audit, il faut être capable de comprendre la réglementation, la stratégie de l’entreprise, les contraintes du front office pour produire des observations qui aient un sens. Sans ce travail d’analyse, ce serait peine perdue.
10. Quelles sont les principales différences entre un auditeur externe et interne ?
Nous exerçons ces deux métiers à la Banque de France donc je peux vous parler des différences au travers de mon expérience personnelle. L’audit est un métier humain et il faut être capable de s’adapter à son interlocuteur. L’audit interne est un peu plus délicat car de l’autre côté de la table se trouvent des collègues. On travaillera peut-être avec eux un jour, en tous cas, on les verra à la cantine. Il faut donc être irréprochable pour préserver notre crédibilité et pour que la mission se déroule dans les meilleures conditions. Ce n’est jamais agréable d’être audité, mais notre responsabilité est que le résultat final profite à tous.
11. Y a-t-il plus d'avantages dans l’audit interne ou externe ?
Je pense que les deux sont des beaux métiers. Il y a peut-être un peu plus de diversité en audit externe, mais à la Banque de France ce n’est même pas sûr. Nous avons une telle diversité de métiers uniques sur notre territoire qu’il y a du travail !
12. Quels sont les avantages en tant qu’auditeur au sein de la Banque de France ?
Je pense que les fonctions d’auditeur à l’Inspection Générale de la Banque de France offrent un positionnement unique au sein de l’institution. Nous rencontrons au plus haut niveau de la Banque et dans le secteur bancaire des interlocuteurs variés et expérimentés qui partagent leur regard avec nous. Cela nous permet de nous construire comme les inspecteurs, managers et dirigeants de demain. Notre responsabilité sera de mettre en œuvre la transition écologique et digitale et de continuer à réinventer nos métiers dans un monde en constante mutation.
13. Un dernier mot pour la fin ?
Je sais que nos métiers peuvent apparaitre techniques voire arides. Bref, des métiers pour des gens un peu trop sérieux. Je veux pourtant redire ici que nous exerçons des métiers vivants et humains, en prise avec le réel, où l’on apprend à ne pas s’en laisser compter et qui peuvent apporter leur pierre à l’édifice lorsqu’ils sont exercés avec engagement.
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