



Les banques ne contrôlent plus leurs jeunes recrues

Sur Wall Street, une guerre silencieuse mais féroce oppose les grandes banques d’affaires aux fonds de private equity. Au cœur du conflit : la compétition pour recruter les meilleurs jeunes talents issus des universités les plus prestigieuses. Alors que les fonds attirent ces profils prometteurs avant même qu’ils ne commencent à travailler, les banques voient rouge et ripostent avec des mesures inédites. Une lutte d’influence qui bouleverse les pratiques traditionnelles de recrutement dans la finance.
Une chasse aux talents qui vire à l’affrontement
Les fonds de private equity multiplient les offensives pour séduire les jeunes analystes des banques d’affaires américaines, déclenchant une réaction virulente des établissements. Selon Bloomberg, Goldman Sachs envisage désormais d’imposer à ses stagiaires un engagement écrit de loyauté, à renouveler tous les trois mois, les forçant à confirmer qu’ils n’ont signé aucun accord d’embauche avec une autre entreprise. L’objectif est clair : couper l’herbe sous le pied des fonds avant qu’ils ne finalisent leur débauchage.
Des jeunes recrues ciblées dès l’université
Le débauchage commence très tôt, souvent avant même que les jeunes diplômés n’aient mis un pied dans leur bureau. Entre la fin de leurs études en mai et le début des programmes de formation bancaire en juillet, les fonds de private equity tentent d’attirer ces talents fraîchement diplômés avec des promesses d’évolution rapide et de rémunération élevée. Ce calendrier serré permet aux fonds de devancer les banques, qui investissent pourtant des moyens considérables dans la sélection et la formation de leurs futurs analystes.
Les banques contre-attaquent le système « on-cycle »
Face à cette stratégie anticipée de recrutement, dite « on-cycle », les grandes banques resserrent l’étau. JPMorgan, par la voix de son patron Jamie Dimon, a été très clair : les nouvelles recrues seront licenciées si elles acceptent un poste ailleurs avant leur prise de fonction ou dans les 18 mois suivant leur embauche. Une manière de protéger leur investissement et d’envoyer un message ferme à la concurrence, mais aussi aux jeunes employés tentés par d'autres horizons trop rapidement.
Les fonds de private equity battent en retraite (provisoire)
La pression semble porter ses fruits : les poids lourds du private equity commencent à faire machine arrière. Apollo a ainsi annoncé qu’il ne lancerait son processus de recrutement qu’en 2026 pour les promotions futures, une décision suivie par General Atlantic et TPG. D’après le Financial Times, en juin dernier, aucune des grandes firmes n’avait officiellement lancé son processus « on-cycle », se limitant à des rencontres informelles ou à des repérages discrets, sans passer à l’action immédiatement.
Un modèle bancal et source de tensions
Cette guerre des talents met en lumière une faille majeure dans le modèle de formation bancaire. Les établissements investissent dans la formation de jeunes banquiers, mais en perdent de nombreux avant même d’en récolter les fruits. Les banques, comme Goldman Sachs, misaient historiquement sur des relations à long terme avec leurs anciens, certains revenant en tant que « boomerangs ». Mais le fait que des jeunes acceptent en secret des offres futures chez des concurrents crée des tensions croissantes, et surtout des conflits d’intérêts potentiels.
Des enjeux éthiques et stratégiques
Pour Jamie Dimon, cette dynamique est non seulement contre-productive, mais aussi immorale. Lors d’un discours à l’université de Georgetown, il a fustigé ces pratiques, affirmant qu’elles placent les jeunes talents dans des situations impossibles, où ils doivent cacher des engagements tout en continuant à évoluer dans des environnements sensibles et stratégiques. Ces conditions posent des problèmes de transparence, de loyauté et de sécurité de l’information dans un secteur fondé sur la confiance.
Conclusion
Le bras de fer entre les banques d’affaires et les fonds de private equity dépasse le simple enjeu du recrutement : il révèle une fracture structurelle dans la gestion des carrières en finance. Les jeunes diplômés, pris entre deux mondes, doivent arbitrer rapidement entre fidélité à leur employeur initial et tentation de l’ascenseur social plus rapide des fonds. Pendant ce temps, les banques, confrontées à une instabilité croissante de leurs ressources humaines, doivent réinventer leurs méthodes de fidélisation. Une chose est sûre : la guerre des talents ne fait que commencer.
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