




Licenciements massifs dans le secteur bancaire

Longtemps considérées comme des bastions de stabilité, les grandes banques françaises et internationales multiplient aujourd’hui les plans de départs. Derrière les chiffres des bilans et les discours d’efficience se cache une réalité plus brutale : celle d’un secteur bancaire en pleine transformation, où les licenciements massifs, les pressions psychologiques et les stratégies de contournement du droit du travail deviennent la norme. À travers huit angles, cet article explore les mutations profondes du monde bancaire, entre restructurations silencieuses et fragilisation du lien social.
Des coupes franches derrière les vitrines
Le secteur bancaire français est en train de vivre une vague de licenciements d’une ampleur rarement vue depuis la crise de 2008. Le retour du Crédit Commercial de France (CCF), ex-HSBC, se fait au prix de 1 000 suppressions de postes sur 2 400, soit plus de 40 % des effectifs, accompagnées de la fermeture de 72 agences d’ici 2026. La Société Générale, de son côté, prévoit la suppression de 5 000 postes d’ici 2026, notamment dans sa banque de détail. BNP Paribas accélère aussi la réduction de son réseau d’agences physiques. La Banque Postale, quant à elle, a perdu plus de 5 000 emplois entre 2015 et 2023. Ces décisions, souvent justifiées par la digitalisation, masquent une logique sociale brutale : celle d’une gestion par la hache, imposée en toute discrétion.
La stratégie du licenciement déguisé
Pour éviter les contraintes du licenciement économique, de nombreuses banques ont recours à des méthodes plus insidieuses : pression psychologique, isolement, missions dégradées ou placardisation. En 2023, plus de 35 % des licenciements dans les banques étaient jugés « contestables » par des avocats spécialisés. Les ruptures conventionnelles représentent aujourd’hui près de 60 % des départs volontaires dans les fonctions supports. Le motif d’« insuffisance professionnelle » est de plus en plus utilisé pour contourner les protections légales. Or, les prud’hommes requalifient régulièrement ces pratiques, avec à la clé des condamnations coûteuses… mais souvent trop tardives pour les salariés concernés.
Des conditions de travail sous haute tension
La pression s’accroît sur les salariés, notamment dans les agences de proximité. Objectifs commerciaux inatteignables, sous-effectifs chroniques, fermetures de guichets : le climat de travail devient délétère. À LCL, entre 2015 et 2018, 7 suicides ont été recensés dans le contexte de réorganisations internes. Même à la Banque de France, réputée plus « protectrice », les réorganisations et mobilités forcées ont provoqué des troubles graves. Une enquête interne menée en 2023 révèle que 32 % des agents se disent en détresse psychologique. Ce ne sont plus seulement des restructurations, mais un effondrement progressif du bien-être au travail.
Une convention collective protectrice… en théorie
La convention collective bancaire prévoit une protection renforcée : indemnités allant de 3 à 5 mois de salaire par année d’ancienneté, obligation de reclassement, accès facilité à la formation. Mais sur le terrain, ces règles sont trop souvent contournées. En réalité, le taux de reclassement après un plan social est inférieur à 20 %, et les propositions faites sont parfois symboliques ou inadaptées. De nombreuses entreprises préfèrent orienter les salariés vers des ruptures conventionnelles présentées comme « plus simples », mais moins protectrices. Le droit du travail devient un terrain de négociation à sens unique.
Quand le bonus fait oublier l’humain
Dans les banques d’affaires, la logique financière contamine jusqu’au droit du travail. Les rémunérations variables représentent souvent 40 à 60 % du salaire total des cadres dirigeants. Or, ces primes sont fréquemment exclues du calcul des indemnités de licenciement. Résultat : une réduction de 30 à 45 % de l’indemnité perçue. La loi Pacte et le Code monétaire et financier ont facilité cette exclusion. Ce montage légal permet aux établissements de faire des économies significatives… tout en réduisant la portée sociale de leur engagement envers leurs collaborateurs.
Une image sociale dégradée
La multiplication des plans sociaux dans un secteur réputé prospère écorne profondément l’image des grandes banques. BPCE et Natixis, par exemple, ont été condamnées à plus de 1 million d’euros d’indemnités entre 2019 et 2023 pour licenciements abusifs, discriminations syndicales ou harcèlement moral. BNP Paribas est régulièrement visée pour des pratiques managériales violentes et des licenciements déguisés. Chaque année, environ 1 200 contentieux Prud’homaux concernent directement des établissements bancaires, dont 20 % liés à des licenciements. Même l’affaire Kerviel continue de faire tache dans l’imaginaire collectif. L’autorité sociale du secteur s’effrite.
Une crise silencieuse et structurelle
Le recul de l’emploi bancaire est une tendance lourde. Depuis 2011, 30 000 emplois ont été supprimés dans le secteur en France, malgré des bénéfices records pour certains groupes. En 2023, la vague mondiale de restructurations a entraîné 62 000 suppressions de postes dans la banque, dont 10 000 chez Deutsche Bank, 9 000 chez UBS-Credit Suisse, et 5 000 chez HSBC. L’automatisation, la pression réglementaire et les attentes des actionnaires forcent les banques à réduire leurs effectifs — sans toujours proposer de reconversion ni de passerelle viable pour les salariés licenciés. Le secteur devient moins attractif pour les jeunes diplômés, malgré ses salaires.
Conclusion
Derrière les chiffres et les grandes stratégies de transformation, le secteur bancaire traverse une mutation sociale brutale, marquée par des licenciements souvent invisibles mais profondément destructeurs. À l’heure où l’on prône l’agilité et l’innovation, c’est parfois le lien humain qui disparaît des organigrammes. Le silence assourdissant des licenciements dans la finance est révélateur d’un malaise plus profond : celui d’un secteur qui peine à concilier performance économique et responsabilité sociale.
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