




Régulation bancaire : la BCE balaie l'idée d'un frein à la compétitivité

La Banque centrale européenne (BCE) a publié une étude qui contredit fermement les critiques du secteur bancaire, selon lesquelles les exigences de fonds propres nuiraient à leur compétitivité et à leur rentabilité. Cette prise de position intervient dans un contexte de débat grandissant sur l'impact de Bâle III, et amplifié notamment par les promesses de dérégulation aux États-Unis.
L'étude de la BCE, une arme contre le lobby bancaire
L'étude, qui a analysé les données prudentielles d'un échantillon de banques européennes entre début 2019 et fin 2024, est catégorique : il n'existe "pas de relation statistique significative entre les exigences de capital et l'efficience des bénéfices" du secteur. L'efficience des bénéfices, que la BCE utilise comme mesure de la compétitivité, correspond à la capacité d'une banque à transformer ses charges en revenus.
Les économistes de la BCE vont même plus loin, soulignant que les exigences de fonds propres auraient en réalité un effet bénéfique sur la compétitivité des établissements sous-capitalisés. Des ratios de fonds propres plus élevés ont permis à ces banques de réduire à la fois les coûts de financement et la volatilité des bénéfices, ce qui représente un avantage concurrentiel.
Toutefois, l'étude fixe une limite : l'efficience des bénéfices est renforcée tant que le ratio de capital (CET1) ne dépasse pas 18 % en moyenne. Au-delà de ce seuil, la compétitivité tend à baisser, un niveau qui n'est pas atteint par les ratios actuellement exigés. Clairement, la BCE utilise ici l'argument de la compétitivité, historiquement brandi par les banques, pour justifier le maintien des exigences réglementaires post-crise.
Les régulateurs défendent le niveau actuel et rejettent la critique du financement
Malgré l'appel du secteur à une simplification et une réduction des contraintes réglementaires, les conclusions de la BCE n'incitent pas à relâcher la pression. Les autorités de régulation réaffirment la nécessité de maintenir un niveau de capitalisation élevé.
Nathalie Aufauvre, secrétaire générale de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), a rappelé que les fonds propres des banques européennes ont été multipliés par deux depuis 2008. Elle juge ce niveau "bon globalement pour assurer la résilience des banques" et prévenir des crises financières, citant les exemples récents de la SVB ou de Credit Suisse.
L'ACPR rejette également l'autre grande critique des banques, à savoir que la régulation empêcherait le financement de l'économie. En France, Nathalie Aufauvre a même observé un taux d'augmentation des prêts à l'économie "très dynamique", supérieur à la croissance du PIB, contredisant ainsi l'idée d'un bridage réglementaire.
Le secteur bancaire contre-attaque : le CET1, reflet du modèle, pas de la force
Malgré les données de la BCE et la position des régulateurs, le secteur bancaire reste circonspect. Adam Farkas, le patron de l'AFME (Association for Financial Markets in Europe), bien qu'il salue la contribution de l'étude au débat, estime que "lier des ratios de fonds propres plus élevés à des performances plus élevées risque de simplifier à l'excès la situation".
Il souligne que les ratios CET1 reflètent avant tout les différences de modèles d'affaires et d'échelle plutôt que la seule "force prudentielle". C'est le cœur de la contre-attaque du secteur : les grandes banques diversifiées ont souvent des ratios CET1 inférieurs non pas par faiblesse, mais parce qu'elles bénéficient de flux de revenus plus larges et d'une gestion des risques plus sophistiquée (modèle plus robuste à l'échelle).
De plus, l'AFME rappelle que les exigences en fonds propres de certaines grandes banques vont encore augmenter d'ici 2030 avec l'entrée en vigueur complète des accords de Bâle III et notamment le plancher de capital (output floor), qui est la principale source d'inquiétude pour l'avenir des établissements.
La menace compétitive américaine et la suspension de la FRTB
Ce vieux débat a été exacerbé par l'arrivée de Donald Trump et ses promesses de dérégulation aux États-Unis. Les banques européennes craignent un décrochage compétitif face à des concurrents américains soumis à des exigences moindres. Ce désavantage se ferait sentir particulièrement sur les activités de marché (trading), où les banques européennes devraient soit augmenter le prix de leurs services, soit réduire leurs marges.
C'est d'ailleurs pour cette raison que, dans le cadre de la mise en œuvre de Bâle III, la Commission européenne a suspendu la partie relative à la FRTB (Fundamental Review of the Trading Book), qui concerne spécifiquement la régulation des activités de marché, afin de préserver la compétitivité des banques de l'Union.
- Vues90