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Private equity : le château de cartes s’écroule

La tempête boursière déclenchée par le « Liberation Day » de Donald Trump, marquant son retour fracassant dans l’arène politique, a violemment secoué les marchés mondiaux. Le private equity, habituellement moins exposé à la volatilité des actifs cotés, se retrouve pourtant en première ligne. Entre appels de liquidité massifs, effet « dénominateur » ravivé et gel des deals, le secteur traverse une zone de turbulences inédites, révélant une fragilité structurelle que les gérants tentaient jusque-là de contenir.
Une pression immédiate sur la liquidité des investisseurs
Depuis le krach déclenché par les annonces protectionnistes de Trump et la fuite brutale des capitaux, les investisseurs institutionnels sont mis à rude épreuve. Pour honorer les appels de capital des fonds de private equity dans lesquels ils sont engagés, ils doivent puiser dans leur trésorerie, souvent déjà entamée par des pertes sur les marchés cotés. Matthew Swain, associé chez Houlihan Lokey, souligne une recrudescence des demandes de liquidité, parfois désespérées, de la part d’investisseurs cherchant à combler des trous de trésorerie sans pouvoir compter sur les sorties prévues via IPO ou cessions secondaires.
Un effet « dénominateur » qui pénalise le non-coté
Ce choc provoque une réévaluation brutale des portefeuilles. Lorsque la part d’actifs cotés chute fortement, la proportion du non-coté grimpe mécaniquement, dépassant les seuils d’allocation que se fixent de nombreux fonds de pension ou assureurs. Résultat : ces investisseurs sont contraints de suspendre, voire réduire, leurs engagements futurs dans le private equity. Cela étouffe le marché primaire, où les levées de fonds deviennent beaucoup plus difficiles. Ce phénomène, déjà observé en 2020 après la crise Covid, s’impose de nouveau comme un verrou financier.
Des levées de fonds en berne, des sorties au point mort
Les chiffres confirment le ralentissement. D’après Pitchbook, le volume total levé par les fonds de private equity en 2024 a chuté de 16 %, atteignant son plus bas niveau depuis 2021. Les sorties, quant à elles, sont quasiment gelées. Peu de sociétés en portefeuille trouvent preneur dans un contexte aussi incertain, et les introductions en Bourse, autrefois une voie de sortie privilégiée, sont repoussées sine die. Cette absence de « distributions » freine les réinvestissements et grippe le moteur du secteur.
Un marché des deals paralysé par l’instabilité politique et les droits de douane
Les annonces économiques de Donald Trump, notamment le projet de hausse massive des droits de douane sur les importations chinoises et européennes, plongent les dirigeants dans l’incertitude. Plusieurs grands fonds comme Cinven, KKR, Bain ou Carlyle ont suspendu ou annulé des opérations de fusions-acquisitions en cours. Jim Zelter, co-PDG d’Apollo, évoque même une récession potentielle qui paralyserait durablement l’activité deal-making. Ce contexte renforce l’attentisme des acheteurs comme des vendeurs.
Une dette plus chère, des leviers moins accessibles
Le financement par la dette, pilier du private equity, est aussi victime de la crise. Avec la remontée des taux et la frilosité des prêteurs, les financements LBO deviennent rares et plus coûteux. Plusieurs opérations en cours, comme le rachat d’Hotelbeds par Cinven, sont mises en pause, faute de visibilité sur les conditions de financement. Cette raréfaction du crédit remet en question la rentabilité des deals et pousse certains fonds à revoir leurs ambitions à la baisse.
Pas de panique, mais un repli tactique
Malgré cette accumulation de tensions, les professionnels du secteur n’annoncent pas encore l’effondrement. Thomas Liaudet, de Campbell Lutyens, tempère : « On ne constate pas encore de ventes forcées. Les institutionnels attendent les prochaines valorisations trimestrielles avant d’arbitrer. » Un léger rebond boursier observé quelques jours après la crise montre que la panique n’est pas généralisée. Mais la prudence domine, et chacun ajuste sa stratégie en fonction de l’évolution géopolitique et macroéconomique.
Conclusion
Cette crise brutale agit comme un révélateur des limites du modèle actuel du private equity, très dépendant des marchés secondaires et des conditions de crédit. Pourtant, certains y voient une opportunité : si les valorisations continuent de baisser, 2025 pourrait devenir une année record pour le marché secondaire, avec une montée en puissance des fonds spécialisés dans le rachat d’actifs à prix cassé. Dans ce climat incertain, une chose est sûre : le secteur devra faire preuve de résilience et d’innovation pour retrouver sa dynamique.
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