Les contours de la zone grise
La zone grise est un sujet particulièrement délicat qui préoccupe les acteurs de la protection juridique des majeurs et, notamment, le notariat qui y a consacré des travaux importants. Elle recouvre des réalités différentes, lesquelles appellent chacune une réponse spécifique.
La zone grise désigne, au premier chef, les personnes dont les facultés commencent progressivement à faiblir sans être altérées au point de les empêcher de pourvoir seules à leurs intérêts. Ces personnes ne bénéficient pas d’un régime de protection et sont capables juridiquement. Elles peuvent donc effectuer des actes, sans assistance ou représentation.
Cette situation soulève un double enjeu, celui de l’aggravation de l’état de santé de la personne et celui de son accompagnement. Sur le premier point, les actes effectués sous l’empire d’un trouble mental ou ceux effectués durant les deux années précédant le jugement d’ouverture d’une habilitation familiale ou la publicité du jugement prononçant une curatelle ou une tutelle peuvent être annulés sous certains conditions (C. civ., art. 414-1 ; 464 et 494-9). Il est donc crucial pour la protection de la personne vulnérable et la sécurité juridique des tiers que la nécessité d’ouvrir une mesure de protection soit détectée au bon moment.
Cette détection peut être favorisée par la mise en place de dispositifs d’accompagnement. Le droit français n’en est pas dépourvu. Il peut s’agir d’une procuration confiée par la personne à un proche, alors qu’elle est encore apte à la consentir ou, si elle mariée, du jeu du régime primaire ou de son régime matrimonial (C. civ., art. 217, 219, 1426 et 1429 notamment). Ces dispositifs sont expressément visés par le Code civil pour la mise en œuvre du principe de subsidiarité (C. civ., art. 428 et 494-2). D’autres dispositions peuvent être également mobilisées, tels que la mise en œuvre du régime légal de l’indivision (C. civ., art. 815-4, notamment).
Il serait possible de lege ferenda de créer des dispositifs propres aux personnes en zone grise, en s’inspirant des modèles du droit comparé. Le droit québécois s’est enrichi d’une « mesure d’assistance », laquelle est destinée notamment aux personnes vieillissantes souhaitant être accompagnées dans leurs démarches. Une autre piste serait d’ouvrir le mandat de protection future à l’assistance.
La zone grise peut aussi désigner les personnes se trouvant sous une mesure de protection non sujette à publicité (mandat de protection future, habilitation familiale spéciale ou mesure d’habilitation judiciaire entre époux visée à l’article 219, al. 1er du Code civil). Le recours à ces dispositifs est totalement occulte pour les tiers alors que certains d’entre eux restreignent les droits de la personne. Il est donc urgent de mettre en place un registre répertoriant l’ensemble des dispositifs d’anticipation, ainsi que l’a suggéré le rapport Caron-Déglise, mais aussi les mesures restrictives de droits ou de pouvoirs (C. civ., art. 219, al. 1er, 1426 et 1429).
L’importance du Mandataire Judiciaire de la Protection des Majeurs
Il appartient aux MJPM de mettre en place les outils permettant la reconnaissance de leur métier. En amont, il est essentiel d’en permettre la connaissance par le grand public et la jeunesse. Je ne peux que constater, en ma qualité de professeur de droit en contact quotidien avec les étudiants, que ce métier leur est totalement inconnu. Ils n’envisagent donc pas de l’exercer. La reconnaissance du métier de MJPM implique la création d’une véritable filière universitaire de niveau master consacrée à la protection juridique des majeurs et aux enjeux de la vulnérabilité. De la même façon que les facultés de droit proposent dans le cadre de leur offre de formation des masters de droit notarial ou des masters carrières judiciaires, elles devraient pouvoir proposer des masters de PJM. La création d’une licence professionnelle, qui convient aux assistants des MJPM, ne suffit pas à répondre aux besoins de l’exercice du mandat judiciaire des MJPM. Il faut offrir à chacun les moyens de ses ambitions et aux personnes vulnérables la protection dont elles ont besoin, tant au plan personnel que patrimonial.
Évolutions législatives : le principe de la capacité
Il existe des dispositifs de protection non incapacitants. Ces derniers sont favorisés par le législateur sur le fondement des principes de nécessité et de subsidiarité (C. civ., art. 428 et 494-2). La loi du 23 mars 2019 a renforcé ces principes en propulsant le mandat de protection future au sommet de l’ensemble des dispositifs de protection.
Faut-il aller plus loin et consacrer le principe de la capacité juridique de la personne protégée ?
Cette consécration passerait par la création d’une mesure unique de protection judiciaire conçue sur le modèle de la curatelle simple dans laquelle le juge pourrait injecter des poches de représentation. Cette proposition appelle une double interrogation.
Ces poches de représentation seraient-elles incapacitantes ?
En l’état actuel, une réponse positive s’impose en l’absence d’éviction de l’article 1159 du Code civil. C’est dire que la mesure de protection unique serait un leurre du point de vue du maintien de la capacité juridique de la personne protégée toutes les fois que la représentation décidée par le juge serait générale.
Comment s’organiserait la protection de la personne vulnérable en l’absence d’incapacité ?
Admettre une protection déconnectée d’une restriction de capacité conduirait à recentrer la protection de la personne contre les actes qu’elle accomplit autour de son préjudice. C’est la solution vers laquelle se dirige le droit positif en érigeant la preuve d’un préjudice en une condition de l’annulation des actes irréguliers faits par la personne protégée en matière patrimoniale (C. civ., art. 465, 494-9, 1150 et 1151). Le modèle reste à construire en matière personnelle.
Sur le mandat de protection future
Le rôle de la société civile pour le Mandat de Protection Future
Le mandat de protection future est un outil formidable, malgré les imperfections dont il souffre, dès lors qu’il est utilisé dans un contexte pertinent, notamment en l’absence de tensions familiales. Il permet de faire du sur-mesure en matière patrimoniale et extrapatrimoniale. Le mandat permet non seulement de choisir son ou ses mandataires ou subrogé(s), sous réserve de respecter les incompatibilités à l’exercice des charges tutélaires, de fixer leur mission et le cas échéant leur rémunération. Il permet de déterminer les modalités du contrôle des comptes de gestion du mandataire et d’adjoindre au notaire rédacteur du mandat, un professionnel du chiffre de nature à l’épauler dans cette mission. Sur ce terrain, le mandat de protection future présente un atout considérable au regard de l’habilitation familiale et des mesures de protection judiciaire où le contrôle des comptes de gestion est en voie de déjudiciarisation sans que l’on connaisse, à ce jour, les modalités exactes qui se substitueront au contrôle par le directeur des services de greffe judiciaire.
Rédigé par Nathalie Peterka :
Professeur à l’Université Paris-Est Créteil (UPEC, Paris 12)
Directrice du Master Droit privé
Directrice du Master 2 Droit privé des personnes et des patrimoines
Directrice du Master 2 Protection de la personne vulnérable couplé au CNC de MJPM
Co-directrice du DIU d’Expertise médicale dans le cadre de la protection des majeurs
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