Professions libérales en SELAS : la fiscalité des rémunérations change
Pourquoi ce changement de doctrine du fisc, que personne n’avait vu venir ?
Florent Belon : il fait suite à une jurisprudence du Conseil d’État, notamment à un arrêt du 8 décembre 2017. À l’époque, celui-ci avait estimé que la rémunération des professions libérales en SELAS devait être décomposée.
D’une part, la fraction qui correspond à l’exercice du métier proprement dit, par exemple chirurgien ou avocat : elle doit relever des BNC, comme pour leurs collègues qui n’exercent pas en société.
D’autre part, la fraction qui correspond aux activités de mandataire social de la SELAS : président, directeur général… La rémunération de ces activités, elle, continue à relever des traitements et salaires.
C’est cette position que l’administration a adoptée en décembre 2022.
Pourquoi cinq ans entre l’avis du Conseil d’État et cette décision ?
F.B. : il n’y a pas eu d’explications à ce sujet. Il n’est pas rare que l’administration tarde, voire ignore des décisions de justice, notamment quand elles lui sont défavorables. Le contribuable peut alors se prévaloir des décisions favorables, même contraires à la position administrative, car celle-ci est inférieure à la jurisprudence.
Ici, la position administrative était plutôt favorable aux mandataires de SELAS. Ce qui leur laissait le choix de l’appliquer si elle leur était favorable, ou d’opter pour la solution du Conseil d’État.
Ce qu’il faut retenir, c’est que la rémunération des professions libérales en SELAS relèvera désormais par défaut des BNC. Pour en affecter une partie en traitements et salaires, vous devrez percevoir cette partie en tant que rémunération uniquement liée au mandat social. Si votre SELAS est de taille réduite, ce montant est en principe faible. Dans le cas où l’administratif le considère comme excessif, il pourra contester sa déduction du résultat fiscal de la société, au titre d’un acte anormal de gestion.
Or, il était plus rentable fiscalement de tout assimiler à des traitements et salaires. Dans beaucoup de SEL, peu de dépenses sont laissées à charge du mandataire. Et les rémunérations de mandataire bénéficient de la déduction pour frais professionnels avec application par défaut du forfait de 10 % (plafonné à 13 522 euros pour les revenus 2022) comme les salariés.
En présence de BNC, les frais réels sont déduits sur justificatifs et barèmes pour déterminer le revenu imposable, qui est soumis à imposition sans déduction forfaitaire supplémentaire. En clair, les mandataires seront soumis à une hausse de leur revenu imposable qui, dans le pire des cas, pourra aller jusqu’à 11%.
Quel sera l’impact de cette nouvelle règle ?
F.B. : Tout d’abord il y aura un impact en termes de charges. Le professionnel devra tenir un comptabilité en plus de celle de la SELAS, avoir un compte bancaire dédié, et sera redevable de la cotisation foncière des entreprises (CFE) minimum.
À cela s’ajoute un coût fiscal : nous avons simulé trois scénarios, selon des montants de rémunération annuelle nette, et ils montrent un coût compris entre 2400 et 6000 euros.
1 | 2 | 3 | |
Rémunération nette imposable en traitement et salaires avant déduction des frais professionnels | 80 000 | 130000 | 200000 |
Perte déduction max. | 8 000 | 13000 | 13522 |
TMI | 30 % | 41 % | 45 % |
Perte max. en € | 2 400 | 5 330 | 6 085 |
Perte max. en % revenus | 3 | 4,1 | 3,04 |
Donc, les professions libérales voient leur taxation s’alourdir sans pouvoir rien faire ?
F.B : sur le papier et en première analyse, oui.
Mais il faut souligner que la rémunération du mandat social dans les SELAS comporte des désavantages sur le plan des cotisations sociales. D’une part, les taux appliqués sont plus élevés que pour les indépendants. D’autre part, cette rémunération peut être soumise à la taxe sur les salaires quand moins de 10 % des recettes de la société sont soumises à TVA. C’est notamment le cas des professions de santé, hors vétérinaires, chirurgie esthétique non remboursée SS, médecines alternatives… Cette taxe sur les salaires atteint rapidement 13,60 % de la rémunération, ce qui est très pénalisant.
Il était déjà permis de ventiler la rémunération entre BNC et traitements et salaires, pour que la partie BNC échappe à ces cotisations sociales élevées. Mais tous les professionnels libéraux ne pensaient pas à le faire. Avec la nouvelle règle, il n’y aura plus d’oubli possible.
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En parallèle, peut-on miser sur l’optimisation de la rémunération ?
F.B. : Oui, il existe plusieurs leviers, le plus simple étant l’épargne-retraite : les plafonds annuels de versements déductibles du revenu imposable sont plus élevés en BNC que sur des salaires. En effet, en plus du disponible égal à 10 % du revenu professionnel s’ajoute 15 % du revenu au-delà du plafond annuel de la Sécurité sociale (environ 44 000 € pour 2023).
Dans le cadre d’une SEL qui compte au moins un salarié, vous pouvez aussi mettre en place de l’intéressement, de la participation, de l’épargne salariale, dont le dirigeant profite également, tout cela à des conditions sociales et fiscales avantageuses. C’est la modalité de rémunération la plus attractive du moment.
De même, il existe des outils pour sortir de la trésorerie avec une taxation bien inférieure au PFU à 30% du dividende.
N’est-il pas plus simple de faire des investissements de défiscalisation : immobilier Pinel ou Malraux, DOM-TOM par exemple ?
F.B. : je connais peu de professions libérales qui ont le temps et les compétences pour évaluer la qualité et le risque de tels placements. Et les déconvenues sont nombreuses. L’observation du patrimoine de professionnels est malheureusement très révélatrice, quand leurs choix se sont résumés à une succession d’investissements retenus pour leur seul aspect défiscalisant.
C’est pourquoi nous favorisons des stratégies d’optimisation de leur rémunération. L’aspect fiscal est traité en amont de façon structurelle, et non à coup d’investissements de fin d’année.
Non seulement c’est bien plus efficace, mais c’est aussi beaucoup plus cohérent et sûr.
La question des placements et investissements est analysée de façon objective, selon le profil et l’horizon des clients et en privilégiant le meilleur rapport rendement-risque. Rappelons que l’on n’investit pas pour réduire son impôt, mais avant tout pour s’enrichir durablement. S’il y a une carotte fiscale, c’est tant mieux, et nous veillons à optimiser la fiscalité de l’investissement, mais nous n’inversons pas les priorités.
Faut-il agir vite ?
F.B. : Si vous exercez déjà, vous bénéficiez d’une tolérance d’un an. La nouvelle règle ne s’imposera à vous qu’en 2024, ce qui vous laisse le temps de vous organiser. En revanche, si vous démarrez votre activité en 2023, je vous encourage à débuter avec ce double mode d’imposition.
De façon plus générale, pour optimiser votre rémunération par exemple au moyen de l’épargne salariale, la constitution de holding ou autre sortie de trésorerie, il n’est jamais trop tôt pour saisir les opportunités et nous consulter.
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