Les « green bonds » : une fausse bonne idée ?
Le marché des obligations vertes est en plein essor et la France en est un parfait exemple puisqu’elle en est le premier pays émetteur au monde notamment grâce à la Société du Grand Paris responsable de l’émission de 24,98 milliards de dollars d’obligations vertes.
Depuis 2007 et l’appel du GIEC à agir d’urgence pour atténuer le réchauffement climatique, les « green bonds » connaissent un succès croissant sur les marchés financiers séduisant autant les investisseurs que les grandes banques, conscientes de leur rôle à jouer dans la transition énergétique. En 2021, les « green bonds » ou obligations vertes émises sur les marchés financiers représentaient environ 210 milliards de dollars contre 2,6 milliards de dollars en 2012.
Les « green bonds », qu’est-ce que c’est ?
Une obligation verte est un emprunt obligataire lancé sur les marchés financiers par une entité publique, privée ou une organisation internationale dans le but de contribuer au financement de projets ou d’activités en faveur de la transition énergétique. Elle a le même fonctionnement qu’une obligation classique à la différence qu’elle doit se justifier sur les projets qu’elle finance notamment sur leur impact environnemental. Ainsi, les green bonds s’inscrivent dans la catégorie des obligations durables soumis à certains critères et ayant pour objectif commun de favoriser le développement durable (qu’il soit social, économique ou environnemental).
https://www.ecologie.gouv.fr/obligations-vertes
C’est en 2001 que la première obligation verte est émise par la ville de San Francisco afin de financer le développement de l’électricité solaire. Ces nouvelles obligations s’installent durablement sur les marchés financiers seulement à partir de 2007, date à laquelle la Banque européenne d’investissement (BEI) émet sa première obligation verte nommée « Climate Awareness Bond ». Sept ans plus tard, les « green bond principles » viennent réglementer les émissions d’obligations vertes en obligeant leurs émetteurs à se conformer à certaines exigences offrant davantage de transparence aux investisseurs.
Depuis l’accord de Paris sur le climat (2015), plusieurs pays se sont engagés à émettre des green bonds ou à investir massivement dans celles-ci. La France est par exemple le premier émetteur européen, elle réalise à elle seule 1/3 des émissions de « green bonds » en Europe. ENGIE a par exemple émis, en 2019, 1,5 milliards d’euros de « green bonds » pour financer des projets d’énergies renouvelables à travers le monde, devenant alors la première entreprise mondiale émettrice d’obligations vertes. Ainsi, de nombreuses émissions découlent de projets liés aux gouvernements comme au Chili où 1,26 milliards de dollars d’obligations vertes ont été émises sur les marchés financiers notamment pour « décarboner » les transports et les logements. On observe le même phénomène en Australie et en Chine.
Une initiative louable qui attire des acteurs opportunistes (green-washing).
Les green bonds apparaissent être une bonne idée pour le climat mais aussi pour les investisseurs puisque leur risque associé est limité : en 2018, 23% des obligations vertes correspondent à des titres notés AAA selon un rapport de la Climate Bonds Initiative (CBI). Par la même occasion, les émetteurs démontrent leur engagement pour le climat.
Néanmoins, si le succès des green bonds montre que la sensibilisation aux défis climatiques a atteint les marchés financiers, il est légitime de douter de l’honnêteté et de l’efficacité de la démarche. En effet, les critères imposés à l’émission des green bonds manquent de précision et laissent aux émetteurs une interprétation suffisamment large pour contourner les objectifs climatiques. Devant le désir croissant des investisseurs de verdir leur portefeuille, les émetteurs d’obligations vertes s’en servent comme d’un outil marketing de greenwashing pour accroître leur profit tout en trompant (partiellement ou totalement) les investisseurs. C’est pourquoi depuis 2019, l’autorité des marchés financiers française (AMF) réclame des informations complémentaires lors de l’émission d’obligations vertes.
De plus, une étude de l’Institut de l’économie pour le climat révèle que les green bonds financent des activités qui l’auraient été de toute manière par des obligations classiques. L’augmentation du nombre de green bonds sur les marchés financiers ne signifie donc pas nécessairement une augmentation des projets en faveur de l’environnement.
Que fait l’Europe ? Quelles alternatives existent-ils aux green bonds ?
Pour inciter les acteurs privés à multiplier les projets dits « verts », la Commission européenne a lancé en 2018 (entrant définitivement en vigueur en 2022) une « taxonomie verte » évaluant l’impact écologique des projets sur la base de leur coût en émissions de CO2. Suite à cette évaluation, cette taxonomie décerne ou non un label vert (visible sur les marchés financiers) aux projets sans toutefois pénaliser les plus carbonés. Cette absence de répression a déclenché la colère de certaines ONG dénonçant un manque de sanctions vis-à-vis des entreprises les plus polluantes et par la même une incitation au « greenwashing ». Pour y remédier, ces ONG proposent une « taxonomie brune » visant à responsabiliser les mauvais élèves en les pointant du doigt sur les marchés financiers.
Finalement, de nouveaux produits « verts » se développent en parallèle des green bonds comme les « sustainability-linked bonds » (SLB) dont les objectifs ne sont pas prédéfinis contrairement aux obligations vertes. En effet, ces nouvelles obligations sont plus flexibles, leur prix est fixé au début du projet puis peut diminuer si les objectifs pris au départ ne sont pas tous accomplis, autorisant ainsi une marge d’erreur aux entreprises débutantes en matière de développement durable. Alors que la RSE gagne du terrain au sein des entreprises, ces « obligations liés au développement durable » permettent donc aux émetteurs de faire un premier pas vers la finance durable. C’est le cas du groupe italien Enel qui a émis en 2019 une obligation SLB de 1,5 millard de dollars.
Figure 2 - Évolution du marché obligataire durable
Sources
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