




Proxy Advisors : génies ou démons de la finance ?

Les proxy advisors, ces arbitres méconnus de la gouvernance d'entreprise, se retrouvent au cœur des débats malgré leur rôle pivot dans la saison des assemblées générales. Leur influence est indéniable, puisqu'ils orientent les votes des actionnaires, mais leur fonctionnement est constamment sous le feu des critiques, soulevant des questions essentielles sur leur indépendance et la pertinence de leurs recommandations.
Les juges de l'ombre sous le feu des critiques
L'Institut Messine fustige trois défaillances majeures qui sapent la légitimité des proxy advisors. Premièrement, une standardisation excessive uniformise dangereusement les votes, occultant les spécificités de chaque entreprise. Deuxièmement, un risque de panurgisme guette les sociétés de gestion, trop souvent tentées de suivre aveuglément ces recommandations. Enfin, de possibles conflits d'intérêts persistent, ces firmes conseillant à la fois émetteurs et investisseurs, un paradoxe qui interroge leur impartialité.
Un marché dominé par deux géants et une histoire récente
Le paysage français du conseil en vote est largement dominé par deux acteurs majeurs, ISS et Proxinvest (Glass Lewis), marquant l'empreinte d'une profession étonnamment jeune. Née il y a une quarantaine d'années seulement, cette activité a connu une croissance rapide, poussée par les évolutions réglementaires et le besoin croissant d'expertise dans un monde financier de plus en plus complexe. Carole Rozen de l'Institut Messine souligne cette « phase de professionnalisation » continue.
La professionnalisation imposée par la réglementation
Un tournant réglementaire majeur en 2013, avec la directive européenne SRD I, a forcé les proxy advisors à une professionnalisation accrue. Cette impulsion a mené à l'adoption volontaire d'un code de bonne conduite (BPP), instaurant des procédures internes plus transparentes, des méthodologies plus rigoureuses et une communication multipartite essentielle, malgré les critiques persistantes des émetteurs. Le cadre a évolué, et avec lui, les pratiques.
Une école de talents très prisée
Malgré les controverses, les sociétés de conseil en vote sont reconnues comme d'excellents tremplins pour former des professionnels aux compétences rares et recherchées. Charles Pinel de Proxinvest le confirme : ces firmes sont de véritables "formateurs" pour les sociétés de gestion. Elles façonnent des profils alliant expertise juridique, financière, et connaissance approfondie de la gouvernance et des rémunérations, des talents que les investisseurs s'arrachent, comme en témoigne la croissance exponentielle des équipes de "stewardship" chez les géants de l'asset management.
Des analystes jeunes et une méthodologie rigide
Les équipes de proxy advisors sont souvent composées de jeunes analystes, majoritairement issus d'écoles de commerce et de Sciences Po, dont l'effectif est renforcé en période d'assemblées générales. Ces "armées" d'experts appliquent une méthodologie parfois jugée excessivement standardisée et rigide, notamment sur la question sensible de la rémunération des dirigeants. Une critique cinglante les accuse de "cocher des cases", sans saisir les nuances spécifiques à chaque émetteur.
L'impératif de l'appréciation qualitative
Face à cette rigidité, un appel pressant émerge pour intégrer une analyse qualitative essentielle aux recommandations des proxy advisors. Helman le Pas de Sécheval de Veolia martèle la nécessité de valoriser la capacité des dirigeants à gérer l'imprévu, comme ce fut le cas durant la crise sanitaire, un facteur qui devrait pondérer les analyses purement quantitatives à hauteur de 20%. Cette approche nuancée permettrait une évaluation plus juste et complète.
Conclusion
L'avenir des proxy advisors s'annonce comme une synergie entre l'intelligence artificielle et un cadre juridique désormais solidifié. L'IA, idéale pour le traitement massif de données et l'analyse quantitative, pourrait libérer les analystes pour qu'ils se consacrent pleinement à l'indispensable évaluation qualitative. De plus, la loi Pacte de 2019 a ancré leur définition légale, renforçant ainsi la confiance dans leur rôle crucial au sein de la gouvernance des entreprises cotées.
- Vues98