




Du cash contre des missiles : Les banques passent à l’offensive

Longtemps perçue comme moralement problématique, l’implication des banques dans le secteur de la défense devient aujourd’hui un impératif stratégique pour l’Europe. Face à un contexte géopolitique de plus en plus instable, les grandes institutions financières européennes s’organisent pour jouer un rôle actif dans la montée en puissance industrielle du continent.
Les grandes banques européennes s’allient pour débloquer les capitaux.
Sous l’égide de la Fédération bancaire européenne (FBE), des établissements majeurs comme BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole, UniCredit, ING ou encore Rabobank ont formé une task force dédiée. Leur mission : identifier les obstacles réglementaires qui freinent le financement de la défense, proposer des solutions concrètes, et surtout, permettre une mobilisation plus fluide des fonds privés vers l’industrie militaire.
Une mobilisation politique et bancaire qui s’accélère.
Cette initiative reflète un changement de climat au sein des États membres, où les gouvernements et les banques convergent désormais sur la nécessité de renforcer l’autonomie stratégique européenne. Lors d’une réunion récente à Varsovie, les ministres des Finances ont affirmé leur soutien à l’idée d’une augmentation significative des budgets de défense — une prise de position largement partagée dans toute l’Union.
Des signaux forts envoyés par plusieurs acteurs financiers.
La Danske Bank, géant bancaire danois, a retiré de ses listes d’exclusion une trentaine d’entreprises du secteur, justifiant ce geste par les nouvelles orientations politiques de Copenhague et de Bruxelles. De son côté, le groupe Allianz, poids lourd de la finance européenne, a levé ses restrictions concernant l’armement et le nucléaire, investissant notamment dans le fonds Innovation Défense avec le missilier MBDA.
Une tendance confirmée par les remontées diplomatiques européennes.
D’après une étude menée par le Trésor français sur la base de retours d’ambassades en Allemagne, Italie, Pays-Bas et Royaume-Uni, les obstacles au financement de la défense s’estompent. Aux Pays-Bas, seules 7 % des entreprises du secteur disent ne pas trouver de financements externes. L’Italie, quant à elle, observe une nette amélioration de l’accès au crédit dans ce domaine.
La Banque européenne d’investissement revoit son mandat en profondeur.
Jusqu’ici limitée aux projets à usage « dual » (civil/militaire), la BEI a fait évoluer ses règles : elle peut désormais financer des projets 100 % militaires, y compris dans les infrastructures, les satellites, les drones ou les opérations de déminage. Une transformation rendue possible grâce à la pression conjointe de la France et de l’Allemagne, et à la volonté politique incarnée par sa présidente Nadia Calviño.
Des freins techniques et éthiques subsistent malgré la dynamique.
Dans plusieurs pays, les entreprises du secteur pointent encore des difficultés d’accès au crédit, liées notamment aux critères ESG (environnementaux, sociaux et de gouvernance). Autre obstacle : la classification des données sensibles, qui limite la transparence vis-à-vis des investisseurs. Même au Royaume-Uni, où l’industrie est plus libérée, des banques comme Santander ou Lloyds ont récemment fermé des centaines de comptes liés à la défense.
Conclusion
Ce tournant marque une rupture avec les décennies de réticence morale à financer la défense. Mais malgré cette dynamique nouvelle, l’Europe accuse encore un net retard face aux États-Unis, où les financements affluent et où seuls les risques liés à la commercialisation freinent les projets. Pour combler cet écart, l’UE devra continuer à adapter ses outils financiers, briser les derniers tabous, et assumer pleinement son ambition de puissance.
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