




La dette privée décolle comme une fusée

Face aux banques, les investisseurs plébiscitent le crédit privé. Le crédit privé séduit de plus en plus les grands investisseurs institutionnels dans un contexte où la régulation bancaire, particulièrement en Europe, limite les capacités des banques à financer l’économie. Selon le baromètre de Coller Capital, près de la moitié des investisseurs institutionnels dans le monde souhaitent accroître leur exposition à cette classe d’actifs dans l’année à venir, dépassant pour la première fois le private equity. C’est un signal fort : les créanciers alternatifs prennent le relais dans un paysage financier en mutation.
Les fonds de crédit privé prennent le pas sur le private equity
Les flux de capitaux se redirigent massivement vers les fonds de dette privée. D’après le baromètre Coller Capital, 45 % des investisseurs (retraites, assureurs, fonds de fonds) comptent augmenter leurs allocations au crédit privé d’ici un an. En hausse de 8 points par rapport à l’hiver précédent, cet engouement dépasse toutes les autres classes d’actifs alternatifs. À l’inverse, le private equity recule nettement : seuls 28 % des investisseurs y voient encore une opportunité, contre 34 % quelques mois auparavant.
Le private equity souffre d’un manque de performance différenciante
Cette désaffection s’explique notamment par une crise de confiance liée à la performance. Comme l’a souligné Jim Zelter, président du géant Apollo, très peu de sociétés d’investissement en private equity parviennent à se hisser durablement dans le « top quartile ». Cela laisse beaucoup d’acteurs en difficulté, dans un marché devenu ultra-concurrentiel et saturé par des valorisations jugées excessives. L’attrait pour des rendements plus lisibles, sécurisés et garantis, pousse les investisseurs vers le crédit.
Une croissance fulgurante des encours en dette privée
La montée en puissance du crédit privé se vérifie aussi dans les chiffres. En l’espace de vingt-cinq ans, les actifs sous gestion dans cette classe ont connu une progression spectaculaire. Selon PitchBook, ils sont passés de 14,79 milliards de dollars en 1998 à 1.866,5 milliards en 2024. Cette croissance illustre l’explosion de la demande pour des instruments de crédit hors du cadre bancaire classique, face à une réglementation plus stricte et à la recherche de rendement stable.
Une stratégie d’origination surpuissante chez Apollo
Apollo, l’un des leaders du secteur, tire son épingle du jeu grâce à un modèle d’origination ultra intégré. Jim Zelter vante une organisation unique, avec plus de 4.000 chargés de relation client spécialisés, capables de sourcer et structurer des deals complexes. Le groupe s’est également renforcé en rachetant les activités de financement de GE et les unités de titrisation de Credit Suisse. Cette puissance d’exécution leur permet de déployer massivement des solutions de crédit là où les banques sont absentes.
Les crédits aux entreprises dominent les préférences des investisseurs
Le financement des entreprises reste la priorité des institutionnels. Selon le sondage Coller Capital, 59 % des répondants estiment que cette classe d’actifs offrira les meilleurs rendements à horizon trois à cinq ans. Loin devant les projets d’infrastructure (19 %), les crédits à la consommation (12 %) ou l’immobilier (10 %). Les investisseurs ciblent des actifs comme le leasing industriel, l’aéronautique ou les stocks, des segments solides, tangibles et souvent adossés à des sûretés.
Les banques contraintes de passer la main sur les financements longs
Les grandes banques traditionnelles ne peuvent plus supporter seules les risques liés aux prêts de longue durée. Apollo indique que les établissements bancaires préfèrent désormais ne prendre que 20 % du risque sur leur bilan, laissant les 80 % restants aux fonds. Ces derniers reprennent le relais pour des financements allant jusqu’à 10 ou 20 ans, une temporalité difficile à porter pour les banques. Résultat : des partenariats stratégiques se multiplient, souvent confidentiels, comme avec BNP Paribas, Citi ou Standard Chartered.
L’Europe, terrain d’opportunités grâce à la régulation bancaire
Le contexte réglementaire européen, bien plus contraignant qu’aux États-Unis, crée un espace d’opportunité pour les acteurs du crédit privé. La sur-réglementation du système bancaire limite la capacité des banques européennes à financer même les entreprises bien notées (« investment grade »). Cela ouvre un champ d’action large pour les fonds de dette, qui peuvent intervenir sur des opérations de titrisation, de financement d’actifs ou même de crédit commercial, jusque-là chasse gardée des banques.
Conclusion
Le crédit privé redistribue les cartes du pouvoir financier. Les fonds de dette profitent d’un transfert de pouvoir inédit, notamment dans les cas de restructurations. Alors que les cessions d’actifs se raréfient et que les fonds de private equity peinent à restituer du capital à leurs investisseurs, ce sont désormais les créanciers qui prennent la main. Les entreprises en difficulté financière négocient avec eux pour rééchelonner ou refinancer, marquant un déplacement de la valeur des actionnaires vers les prêteurs. Le crédit privé devient ainsi l’un des piliers du nouveau capitalisme financier global.
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